Géographie du silence
“Il n’ existe pas de bonne peinture qui parle de
rien. Le sujet est essentiel et le seul sujet valable
est celui qui est hors du temps et tragique.“
Mark Rothko, 1943
Au premier coup d’oeil, le travail d’Antoine Martin se démarque de façon brutale de ce qui fait la Une de l’actualité artistique de ce millénaire. C’est dire sans ambages que l’on est en face de peinture ! Sous le titre générique «Géographie du silence », l’artiste genevois nous fait découvrir sa nouvelle démarche, remarquable aboutissement d’une évolution qui se dessinait depuis quelques années, où demeure l’abstraction faite d’élan et d’instinct, mais avec une manière de
sensibilité différente, sous-tendue de pudeur, d’intériorité et de réflexion intense ; une oeuvre que l’on lit pour ce qu’elle cache, que l’on fouille pour y découvrir la lumière aussi bien que le feu intérieur.
Dans une apparente économie de moyens, l’espace est structuré, cadré à l’intérieur de la toile marouflée en vastes surfaces parcourues de vibrations superficielles et de frémissements épidermiques, espace urbain ou rural, peu importe, espace de rencontre, espace intérieur certainement, expression d’un absolu, une affaire de pureté. Lieu de partage, voire de rupture, le tableau laisse apparaître des formes géométriques décalées les unes des autres dans la conquête de l’espace. Ces larges plages d’une géométrie élémentaire, orthogonale, dans lesquelles carrés et rectangles y jouent de la confrontation autant que de la superposition, s’amalgament totalement avec les mouvements de l’esprit.
Dans une forme de logique implacable, Antoine Martin tend à simplifier pour mieux appréhender les liens complexes qui unissent l’espace et le temps. Son parcours l’a conduit à épurer toujours davantage. On devine chez l’artiste une volonté de se dégager d’une certaine profusion: aussi isole-t-il, ordonne-t-il, élimine-t-il. La gestualité qui investissait la toile il y a quelques années encore a laissé la place à une géométrie plus définie. Mais toujours l’esprit obéit à un dessein constant d’unité, indifférent à tout compromis et à toute facilité.
Peinture d’espace, d’un espace qui est celui de la méditation et du silence: sa géographie se réfère non à des paysages particuliers et parfaitement identifiés, mais à des champs mystérieux et magnétiques qui assimilent l’espace tout entier, pont jeté vers le monde dans un souci non de domination mais d’une possession charnelle, ou plus exactement d’une assimilation à la nature des origines. Sa matérialité est lourde de tendresse, de réflexion et d’ordre. Elle ressemble à des sols qui sont le terrain de traces, de piétinements, de passages disant le temps et l’Histoire. L’abstraction se fait mémoire et prémonition.
Extrait du texte D’André Dépraz 2002