L’usage du jaune 2011 / 2012
Dans les motifs qui constituent le vocabulaire courant de l’artiste, l’on reconnaît les lignes, le tracé du dessin et l’idée de superposition de matériaux, bruts d’un côté et précieux de l’autre. Ce qui frappe cependant partout, c’est l’utilisation de la couleur jaune qui domine les espaces et constitue le fil conducteur pour appréhender l’exposition.
Cette couleur que l’artiste puisa originellement dans l’univers industriel s’installe ici pour illuminer les œuvres et compléter le blanc majestueux de celles-ci. Inquiétante, peu présente dans le monde artistique occidental jusqu’au XIXe siècle, le jaune est une couleur marquée culturellement. Associé à la trahison, au mensonge, il est aujourd’hui la teinte représentant la frontière et l’avertissement. Dans la signalisation, le jaune sert à réguler le trafic, avertir d’un danger ou délimiter une scène. Il est donc la marque d’une limite imposée à l’homme et appelle l’attention.
Les petits formats ici montrés se présentent comme des variations sur le chiffre 4, qui fait référence entre autres, pour l’artiste, aux quatre points cardinaux, limites qui définissent le monde. Polysémique, ce chiffre se rattache encore à la solidité, à la terre. Formant des croix fragmentaires, amputé en partie, le 4 permet de nombreuses fluctuations artistiques sur sa géométrie. Antoine Martin explore ce chiffre en lui superposant différentes couches de plexiglas à travers lesquelles filtre la fameuse couleur, plus ou moins cachée, plus ou moins visible : celle-ci éclaire quelquefois la composition ; d’autres fois, elle apparaît comme perçant à travers une brume créée par l’empilement du plexiglas et du papier calque. Ces agencements fragiles, comme en suspension, sont enrichis par un pourtour de fer qui permet de les enfermer, tel un précieux trésor. Les œuvres oscillent entre stabilité et évanescence.
À côté de ces pièces délicates et légères, Antoine Martin a travaillé sur des œuvres plus monumentales, reprenant le support du bois qui lui est cher. Le jaune domine là aussi ces compositions faites à partir de planches et de matériaux récupérés, recouverts de peinture et de cire. Cet aspect brut frappe le spectateur. Les formats sont variables, allant des plus petits qui s’assimilent presque à des masques de divinités primitives, à de plus importants, larges plages que l’on verrait bien extraites d’un monde industriel.
Opposant deux univers, l’un léger par la superposition de strates transparentes, l’autre stable et solide, Antoine Martin a utilisé la couleur jaune pour unifier des œuvres qui se construisent en relief et profondeur. Poursuivant son questionnement de la force essentielle des matériaux, l’artiste nous invite à apprivoiser la couleur jaune et à l’intégrer pleinement dans notre imaginaire visuel.
Klara Tuszynski