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Nulla dies sine linea 

Dans la société moderne, les lignes droites sont les signes du progrès et du mouvement : câbles électriques, voies des routes et des chemins de fer, perspectives des architectures, orthogonalité des murs. Elles placent l’humain dans une géométrie familière dont l’esthétique est souvent ignorée. Antoine Martin en révèle la beauté dans ses œuvres, cherchant à exalter les structures habituelles du paysage urbain à travers une interprétation qui distille la vision pour en extraire la substance abstraite. Cette abstraction apparente cache donc une figuration intrinsèque. En effet, sa peinture reproduit directement des formes et des couleurs empruntées à l’environnement citadin du quotidien. Redevable à l’Arte Povera, l’artiste puise dans le vocabulaire industriel des chantiers et des décharges pour en extraire une plaque de métal, un morceau de bois ou de toile de jute, des agrafes, une nuance, l’idée d’une composition.

La couleur n’a pourtant pas disparu complètement de ses structures. Au fil des années, ses œuvres s’installent dans le monochrome, laissant toutefois une place aux touches colorées qui viennent rompre la composition tout en lui apportant un équilibre supplémentaire. La recherche coloriste se concentre à présent sur quelques teintes dépréciées et peu sensuelles : le jaune des planches industrielles, le gris du zinc, le vert des bâches des entrepôts. Mais, partout, c’est le blanc monumental, en référence aux monochromes des premiers peintres abstraits, qui domine l’ensemble.

Accordant une place essentielle aux couleurs, l’art d’Antoine Martin unit de la sorte les deux grandes rivales de l’histoire de l’art que sont la ligne et la couleur, dont l’antinomie décrétée par les théoriciens de l’art a suscité bien des discussions au cours des siècles passés.

S’appropriant la phrase que Pline a formulée sur le célèbre peintre de l’Antiquité Apelle, Nulla dies sine linea, Antoine Martin approuve cette conception qui implique de s’exercer chaque jour dans le tracé de la ligne et à avancer dans son art. C’est encore la ligne qui oppose le même Apelle à son émule Protogène dans leur rivalité pour livrer le tracé le plus fin. Du graphiké enseigné dans les académies grecques au disegno si cher aux Italiens puis aux « poussinistes » de l’Académie royale de peinture et de sculpture, elle a été assimilée à une projection de la pensée de l’artiste. Sans faiblir, elle aura stimulé les débats artistiques : peut-elle suffire à exprimer, par sa seule inscription, les sentiments les plus nobles, l’expression absolue et la beauté de la composition. En d’autres termes, se suffit-elle à elle-même ?

Extrait tiré du texte de Klara Tuszynski